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Comment je me suis disputée : « Au bout de cinquante-quatre ans d’amitié, il me dit qu’il ne veut plus jamais me voir »

« Je l’ai rencontré à une soirée d’anniversaire, dans une maison de la campagne anglaise. J’avais 18 ans, lui aussi. C’est ma mère qui m’avait emmenée. Je crois bien que j’avais envie de la choquer un peu. Henry avait les cheveux très longs, il était plus ou moins maquillé et portait des vêtements originaux. On a dansé. A la fin de la soirée, nous sommes convenus de nous revoir à Londres, où nous habitions tous les deux – moi, je n’étais plus chez mes parents, je partageais un appartement avec des amis.
Nous venons tous les deux d’un milieu anglais assez petit-bourgeois, mais avons grandi dans des conditions très différentes. Il a vécu le divorce houleux de ses parents, et sa famille est éclatée. Moi, je viens de la campagne, d’un milieu très comme il faut. Mes parents étaient assez âgés lorsqu’ils nous ont eus, mon frère et moi. Ils avaient lu un tas de bouquins sur l’éducation. Mon destin était tracé : il fallait que j’aille à l’école, que j’étudie bien, puis, si possible, que j’épouse un homme riche.
Henry et moi nous sommes revus à Londres et avons commencé à nous fréquenter. Nous étions en 1968. Il m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Nous avions de grandes conversations intellectuelles et politiques, nous avons voyagé ensemble. Mais en même temps, nous étions tous les deux immatures. Notre relation était très conflictuelle, des disputes pas possibles, des réconciliations. Cela a duré comme ça jusqu’en 1973. Le jour du mariage de la princesse Anne, on s’est engueulés en plein milieu de Piccadilly – je ne sais plus à quel propos – et c’était fini.
En 1977, je suis partie vivre en France, à 27 ans. Lui est resté à Londres toute sa vie. Il habite toujours dans la même maison que lorsque je l’ai rencontré. Je suis venue à Paris pour être libre. Je voulais aller quelque part où personne ne me connaissait, où personne ne devinerait de quel milieu je viens juste en entendant mon accent – bref, où l’on n’avait pas les mêmes codes.
C’était censé être juste pour un an, afin d’apprendre le français, et puis j’ai rencontré mon mari. Un juif égyptien, né au Caire, venu en France pendant la crise de Suez. Il n’était pas du tout de mon milieu, il parlait français, donc ma mère ne pouvait le comprendre – et donc pas le juger.
Henry et moi ne nous sommes jamais perdus de vue. Notre histoire amoureuse s’est transformée en une amitié solide. Il a rencontré mon mari, nous rendait visite régulièrement. Moi, quand j’allais en Angleterre, je dormais chez lui. On se parlait souvent au téléphone, et on se disait qu’on était meilleurs amis. Cela a sans doute été gênant pour mon compagnon, parce que j’avais avec Henry une complicité unique, mais pour moi c’était sans ambiguïté. Henry, lui, n’a jamais vécu avec une autre femme jusqu’à ses 60 ans.
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